Textes

L’acte photographique 1

La photographie m’ouvre le champ du monde. J’aime errer dans des nouveaux espaces et me laisser guider par mon intuition créatrice. Je flâne, attirée par une architecture, une scène, des visages, des objets, la lumière. Les idées fusent et je conçois dans le jeu du déplacement et de l’arrêt, dans l’enregistrement photographique, la captation de mes réflexions dans le réel. Mes pensées entrent en interaction avec le réel et l’outil photographique permet d’exprimer ces instants en images. Dans la prise de vue, mon corps se met en résonance avec l’espace. Quand je photographie un papillon j’anticipe son mouvement. J’essaie de devenir papillon. La prise de vue devient un acte où mon «moi» ne s’exprime pas. Je suis le mouvement, les sensations du monde extérieur. C’est une présence au monde à l’instar d’un art corporel. Ma conception de la photographie comporte ce mouvement, ce flux essentiel. L’acte photographique est indissociable de ce déploiement intuitif du corps dans l’espace-temps.

1- Titre emprunté au livre : l’acte photographique, Dubois Philippe (1990), nathan université, Belgique, 309p.

Matière

Je suis très sensible aux matières et j’affectionne particulièrement le verre et le miroir, qui est un verre qui possède une couche d’argent réfléchissante. Il est pour moi un matériau d’une très grande richesse. J’explore sa transparence, son coupant, sa cassure, sa dureté, sa froideur, sa chaleur, sa couleur, sa vivacité, sa réflexion, son épaisseur et sa fragilité. A l’opposé de le considérer comme un simple support, il est la matière constituante de mes photographies. De même, la couche de l’émulsion sur le miroir donne une matérialité propre à ces tirages. L’émulsion photographique est constituée de grain d’argent mais le liant,lui, est d’origine animal, fabriqué à partir d’os de bœuf. La consistance des photographies sur miroir intègre ce dosage subtil entre organique et minéral. Le miroir s’est imposé à moi comme la matériaux intrinsèque de ma démarche artistique. Il est toujours lié à la photographie. Son essence réflexive fait écho au dispositif photographique. Au début de la photographie, les daguérréotypes sont appelés des «miroirs avec mémoires»2 L’idée de poser une émulsion photographique sur un miroir est issue de cette envie de reproduire un daguérréotype car ces photographies possèdent de la profondeur et un aspect irréel. La plaque de cuivre polie qui agit comme un reflet a orienté l’expérimentation sur le miroir.

2 – FONTCUBERTA Joan (1996), Le baiser de Judas, photographie et vérité, Actes Sud, Arles,121 p.

Processus

La photographie en noir et blanc m’est essentielle car je reste active dans le processus de développement. L’image peut parfois rester longtemps latente jusqu’au développement. Je découvre les négatifs avec un regard neuf. Je me fie beaucoup à la persistance d’une image dans mon esprit. Je considère souvent une photo plus forte quand ma mémoire l’a enregistrée. En regardant le négatif, je me projette dans l’espace-temps de la prise de vue. Ce moment engendre une pure évasion de mes pensées. La vue négative se relie alors avec l’ instant de la captation. L’inversion des valeurs de l’image m’emporte dans une remémoration. Le regard cherche à comprendre, à remettre dans le bon sens, entrainant mon imaginaire à déambuler dans de nouvelles dimensions. Dans mon laboratoire c’est la temporalité du processus de tirage noir et blanc qui prend le dessus. Je suis déconnectée de la réalité dans la lumière rouge, inactinique, je pose l’émulsion photosensible et laisse sécher les miroirs. Je passe par une pensée intuitive pour accorder le sujet à la forme. Cette intuition s’active dans les moments où je me reconnecte à l’état créatif. Je pense souvent à la phrase de Chris Marker : «  Le hasard a des intuitions qu’il ne faut pas prendre pour des coïncidences.»3 Dès que l’œuvre est décidée, J’engage dans ma tête toute sa procédure de fabrication. Celle-ci se réalise mentalement, le corps est en détente. Je n’ai pas besoin de la dessiner. La projection mentale de l’expérience me permet de tout garder en mémoire. Je vis les difficultés et les résolutions pratiques. J’anticipe par la mise en situation mentale. Ensuite, j’engage la création plastique. Le développement reste le moment le plus fascinant, quand l’image apparaît dans toute la palette du noir et du blanc, c’est l’alchimie photographique qui a opéré.

3 – MARKER Chris, Citation de l’ exposition L’Image d’après, éd. La Cinémathèque française, 2007, https://fr.wikiquote.org, Paris.